- ANGLAIS (DROIT)
- ANGLAIS (DROIT)Le droit anglais n’est pas seulement le droit d’une des nations les plus importantes, sur les plans politique et économique, du monde actuel. En dehors du cadre géographique restreint où il est directement applicable (Angleterre et pays de Galles, à l’exclusion de l’Écosse et des îles Anglo-Normandes), le droit anglais a exercé et continue d’exercer une grande influence en nombre de pays. Il est en effet le prototype d’une des grandes familles de droits du monde contemporain, la famille de la common law . La plupart des pays qui ont connu, à une époque de leur histoire, la domination anglaise, le regardent comme une sorte de jus commune , au moins dans certaines de leurs branches, et c’est en conséquence par une étude du droit anglais qu’il convient d’aborder l’étude des droits australien, canadien, indien, nigérien ou même l’étude du droit des États-Unis. Le droit anglais occupe, par rapport à tous ces droits, une place comparable à celle qui est reconnue au droit romain et à la science du droit romain dans les droits du continent européen. On ne peut, en ce qui les concerne, comprendre les méthodes et la psychologie des juristes, les cadres dans lesquels sont ordonnées les règles, la conception même que l’on a du droit, qu’en se référant au droit anglais et en considérant, en particulier, les conditions historiques dans lesquelles s’est formée et développée la common law d’Angleterre.HistoireLe droit anglais est le produit d’une longue évolution historique, qui commence au lendemain de la conquête normande en 1066 et qui n’a été rompue par aucun phénomène de réception ni de codification. Aussi est-il indispensable, pour le comprendre et pour comprendre les traits qui l’opposent aux droits du continent européen, d’avoir quelque notion de son histoire.Guillaume le Conquérant, lorsqu’il a conquis l’Angleterre, n’a pas cherché à imposer un droit nouveau. Se présentant comme le successeur des rois anglo-saxons, il a bien au contraire affirmé de façon expresse les coutumes qui étaient en vigueur. La justice a continué en principe à être administrée, dans chaque subdivision territoriale du pays (county ou hundred ), par l’assemblée des hommes libres, selon une procédure conforme à la coutume locale. À cette justice s’est peu à peu substituée en fait, dans le cadre des grands domaines, une justice seigneuriale, appliquant la «coutume du manoir». Des juridictions ecclésiastiques (christian courts ) ont été d’autre part autorisées par le Conquérant à fonctionner en Angleterre, et ont appliqué le droit canon, étroitement lié aux conceptions du droit romain. En vertu de chartes ou privilèges variés, nombre de juridictions municipales (borough courts ) ou commerciales (piepowder courts ) ont été créées ultérieurement et ont appliqué dans les matières de leur compétence un droit local particulier à la cité ou un droit commercial (ley merchant , lex mercatoria ) fondé sur la coutume des marchands. La justice royale, distincte de toutes ces juridictions, est demeurée, après la conquête, quelque chose de tout à fait exceptionnel; on ne pouvait recourir à elle que dans les affaires qui intéressaient suffisamment la Couronne et à la condition d’obtenir, à titre de privilège, la délivrance d’un writ (breve ) par le chancelier.Aux XIIe et XIIIe siècles cependant, la justice du roi a été sollicitée d’intervenir dans des cas de plus en plus nombreux, parce qu’elle était à la fois mieux organisée et plus efficace. Le roi a cessé de rendre lui-même la justice entouré de ses familiers (curia regis ); il a été amené à déléguer ses pouvoirs à des cours (cours de Westminster) qui sont devenues des institutions permanentes. Le chancelier a octroyé des writs dans des types de litiges de plus en plus variés. Indépendamment de la délivrance d’un writ , les juges royaux ont accepté de connaître d’un nombre croissant de contestations «au vu des circonstances de l’espèce» (super casum , on the case ).Les juridictions ecclésiastiques (qui seront sécularisées lors de la Réforme) ont été graduellement confinées dans l’examen de questions particulières, intéressant le sacrement de mariage ou la discipline du clergé; les juridictions locales ont cessé peu à peu d’exercer toute espèce d’activité, de même que les juridictions seigneuriales; sans être du reste formellement abrogées.Les cours de Westminster, saisies par des writs de types variés ou par la procédure d’une action on the case , statuent en appliquant un droit qui leur est propre: droit commun à toute l’Angleterre et qui, pour cette raison, a été appelé en vieux français comune ley , en anglais plus tard common law . Le développement de ce droit, étroitement lié à l’extension de la compétence des juridictions royales, a été l’œuvre de plusieurs siècles, rapide à certaines époques, lente à d’autres, accélérée ou freinée par les accidents divers de l’histoire. Jusqu’à la fin du siècle dernier (Judicature Acts , 1873-1875), les cours de Westminster n’ont été en théorie que des juridictions d’exception, compétentes dans un nombre de cas limité, bien qu’en fait, depuis le XVe siècle déjà, elles aient été les seules juridictions de quelque importance (superior courts ) subsistant en Angleterre.Ce développement historique très particulier est essentiel à connaître: de fait, il explique tant la conception du droit que l’on entretient en Angleterre que la structure et la théorie des sources du droit anglais.Conception du droit anglaisLa manière dont s’est développé historiquement le droit anglais a eu une double conséquence. Il convient d’observer en premier lieu la petite proportion des affaires qui, traditionnellement, sont venues à être tranchées par les cours royales. Le rôle de celles-ci a moins été de rendre la justice que d’imposer, à ceux qui la rendaient, l’observation de certaines règles, garantissant avant tout la loyauté des procédures qui étaient suivies. Mais s’agissant des affaires qui, en première instance, étaient portées aux cours de Westminster, l’attention s’est essentiellement portée sur la procédure: il fallait d’abord obtenir que les cours royales acceptent de connaître du litige, les plaideurs ayant, dans le cours de la procédure, à surmonter des obstacles multiples.On a fait pendant des siècles, en Angleterre, une distinction entre la justice de tous les jours, la «basse justice», qui était rendue par des juridictions locales variées, n’engageant pas la majesté du pouvoir royal, et la justice plus éminente et solennelle, la «haute justice», que dans des cas exceptionnels on pouvait obtenir des juridictions royales. Cette tradition demeure vivante de nos jours encore en Angleterre, où l’on fait une distinction fondamentale entre cours supérieures et cours inférieures (superior courts , inferior courts ).Les juges des cours supérieures, groupés à la Supreme Court of judicature et, au-dessus de celle-ci, à la Chambre des lords, représentent autre chose que les juges du continent européen. Très peu nombreux (ils ne sont que 56 à la Supreme Court of judicature et 9 à la Chambre des lords), choisis parmi des avocats au sommet de leur carrière, ils constituent ce que l’on peut vraiment appeler le pouvoir judiciaire. Dotés d’un prestige considérable, ils peuvent connaître en théorie de n’importe quelle affaire: civile, pénale ou administrative; en fait ils n’acceptent de connaître, soit en première instance, soit comme organismes de cassation ou de révision, que des affaires qui leur paraissent suffisamment importantes en fonction de critères variés.L’immense majorité des contestations est jugée, en dehors d’eux, par des cours ou organismes variés: cours de comté d’un type nouveau (instituées en 1846) en matière civile, magistrates’ courts et courts of quarter sessions (composées de citoyens distingués, les justices of the peace ) en matière pénale, commissions de contentieux administratif constituées au sein des différentes administrations, cours variées aussi qui sont largement des reliques du passé (le nombre de ces juridictions n’est pas inférieur à 150 selon l’Encyclopédie du droit anglais de Halsbury). Dans toutes ces cours ou organismes on trouve, parfois, des juristes ou même des juges de profession. La chose est toutefois relativement rare. Le plus souvent, réserve faite aujourd’hui des cours de comté, la justice est rendue par des non-juristes: citoyens qui acceptent de consacrer une part de leur temps au service de la communauté, commerçants exerçant la fonction d’arbitres, administrateurs participant à la liquidation du contentieux administratif. Un secrétaire seulement (clerk ), généralement employé à temps partiel, guide le tribunal dans sa procédure et dans l’application, quant au fond, des règles du droit.On peut difficilement s’attendre, dans de pareilles circonstances, à voir rigoureusement appliquer les règles du droit. Ce sur quoi l’on exercera un contrôle dans les cours supérieures, ce ne sera pas l’application correcte du droit quant au fond; ce sera bien plutôt la régularité de la procédure suivie: les juges ont tenu la balance égale entre les parties, ils ne se sont pas rendus coupables de misconduct , ils n’ont fondé leur conviction que sur des preuves pertinentes. L’on ne s’émeut pas de voir les règles du droit faussement appliquées, lorsque les contestations sont résolues par ceux qui en ont assumé la charge selon leur conscience, en respectant les principes de bonne administration de la justice qui sont regardés comme fondamentaux par les cours supérieures et par la communauté.Pour les affaires mêmes que jugent en première instance les cours supérieures, l’attention s’est concentrée en Angleterre pendant des siècles sur la procédure. Les cours de Westminster n’avaient pas en principe une compétence universelle; il fallait trouver, pour les saisir, une procédure adaptée aux circonstances du litige; cela étant acquis, l’essentiel était de mettre l’affaire en état pour qu’elle puisse être soumise au verdict d’un jury qui, même en matière civile, était appelé à se prononcer sur les faits de l’espèce. Cette tradition n’a pas préparé les Anglais à regarder le droit comme un ensemble de normes destinées à dire en toutes hypothèses aux hommes comment ils doivent se comporter dans la société. Le droit apparaît bien plutôt en Angleterre comme étant fait de procédures. Il est par essence contentieux, bien plutôt qu’ordonnateur comme on le conçoit dans les pays du continent européen. Aussi compte-t-on autant et plus, pour ordonner la société, sur d’autres facteurs que sur le droit. Des exemples typiques montrent comment on s’en remet au sens civique des travailleurs ou des patrons, des assureurs ou des armateurs, des organisations commerciales ou bancaires pour mettre fin à certaines pratiques jugées contraires à l’intérêt commun; le droit n’intervient qu’en dernière analyse, si la chose est nécessaire pour mettre fin à certains abus ou pour rectifier certaines déviations.Divisions et conceptsLa structure du droit anglais ne se rattache pas moins étroitement à l’histoire de ce droit. Les particularités de cette histoire peuvent seules expliquer la manière, très différente de celle des droits du continent européen, dont le droit anglais est divisé, ainsi que les concepts qu’il utilise.Les cours de Westminster n’ont été pendant des siècles, dans la théorie, que des juridictions d’exception. Leur compétence ne s’étendait qu’à un nombre limité de cas, dont chacun donnait ouverture à une procédure particulière, dérivant de l’ordre du roi (writ ) par lequel le procès avait commencé. Les cours n’ont étendu qu’avec réserve leur compétence en admettant des actions nouvelles «au vu des circonstances de l’espèce».L’essentiel dans le droit anglais n’a pas été dans ces conditions le fond du droit, comme dans les pays du continent européen. Plus importantes ont été les procédures. «Remedies precede rights » est un adage fondamental du droit anglais. Les cours royales ne pouvaient être saisies que dans un nombre restreint de cas, au moyen de procédures qui, toutes, présentaient des caractères distinctifs et des règles particulières. Il importait de trouver une procédure permettant de saisir les juges de Sa Majesté avant de pouvoir les persuader que l’on avait une cause juste. Les auteurs anglais ont tout naturellement exposé les règles du droit en prenant pour cadres de leurs développements ces procédures, plutôt que les situations ou principes mis en jeu dans l’espèce.Le droit anglais a reçu, de ce fait, une structure tout autre que les droits du continent européen. Dans ceux-ci, les juristes, formés dans les universités, ont ordonné leur pensée, et classé les règles de leur droit, dans les cadres du droit romain; la chose a été possible parce que le droit était, dans ces pays, administré par des juridictions non restreintes dans leur compétence et non assujetties à des procédures archaïques. En Angleterre au contraire, le formalisme des procédures a détourné les juristes de l’étude du droit romain. Éloignée de tout esprit de système, la common law n’a pu se développer que de solution particulière à solution particulière. Elle se présente, aujourd’hui encore, comme un droit essentiellement casuistique, dans lequel la règle de droit ne s’élève pas au-dessus du niveau strictement nécessaire pour la solution de l’espèce. la legal rule du droit anglais n’est pas l’équivalent de la règle de droit du droit français. Le droit anglais est, et il veut demeurer, un droit inachevé; non seulement sa formation a été dominée, mais son état actuel et son perfectionnement demeurent conditionnés par la maxime politique «Wait and see ».Si l’on observe les catégories et concepts du droit anglais, la complexité des procédures anciennes a bien pu être atténuée en 1832-1833, puis abolie en 1852. Il en est néanmoins resté quelque chose: «Les procédures anciennes, a dit un auteur anglais, nous gouvernent de leurs tombeaux.» Donnons-en un exemple. La notion de contrat est définie aujourd’hui encore en Angleterre en rapport avec un certain type d’action (assumpsit ) à l’aide duquel, jadis, certains engagements ont été sanctionnés; un Anglais ne regarde pas comme des contrats la donation ou le mandat, le dépôt, le louage de choses ou le transport des marchandises, encore moins la fiducie (trust ), parce qu’on est là en présence de cas où il y avait lieu, jadis, de chercher un remède par un autre moyen que l’action d’assumpsit.La distinction fondamentale du droit anglais, celle de la common law et de l’equity , ne peut s’expliquer que par l’histoire. Nous avons dit déjà ce qu’était la common law: opposée aux coutumes locales, au droit canon, à la lex mercatoria , c’est le droit qui a été développé par des juridictions particulières, les cours de Westminster, appelées aussi courts of common law . Pour des raisons variées, le développement de la common law par ces cours n’a pas été, à certaines époques, suffisamment rapide ou bien a laissé à désirer. Les particuliers se sont alors adressés directement au roi, pour obtenir justice, en faisant valoir l’équité de leur cause et en demandant que soit condamnée la conduite contraire à la conscience de leur adversaire. Sous la dynastie des Tudors, au XVIe siècle, ces recours se sont multipliés, et sont venus à être jugés par une cour spéciale, celle du chancelier. Une jurisprudence s’est ainsi constituée qui, dans certaines circonstances, apporte des compléments ou des retouches à la common law. L’œuvre principale de la cour du chancelier est constituée par le développement de toute une branche spéciale du droit anglais, le droit des trusts ; le chancelier, prenant en considération les exigences de la loi morale et de l’équité, a imposé au trustee , qui est une sorte de fidéicommissaire, l’obligation de respecter les engagements par lui pris, et qui étaient dépourvus de sanction juridique selon la common law.La distinction de la common law et de l’equity a été pendant des siècles la division fondamentale du droit anglais. La jurisprudence de la cour du chancelier, bien que dénommée en raison de ses origines equity, a appliqué en fait depuis le XVIIe siècle des règles proprement juridiques aussi strictement conçues que celles de la common law. L’equity toutefois a continué à se distinguer à différents égards de la common law. Ses remedies en premier lieu ont été appliqués jusqu’à 1875 par une juridiction spéciale, qui en avait le monopole. Cette juridiction, en deuxième lieu, statuait selon une procédure écrite inquisitoire, inspirée de celle du droit canonique, très différente de la procédure orale des cours de common law; la procédure devant la cour du chancelier ne comportait jamais la collaboration d’un jury, par laquelle se caractérisait la procédure devant les cours de common law. L’equity, en troisième lieu, intervenait seulement in personam , en menaçant le défendeur d’emprisonnement ou de la mise sous séquestre de ses biens; elle ne prononçait pas de condamnation à dommages-intérêts et n’autorisait pas la saisie des biens du défendeur. L’octroi des remedies of equity , en quatrième lieu, n’était jamais obligatoire pour le juge, lequel avait toujours, à cet effet, un certain pouvoir discrétionnaire guidé par les précédents. Une terminologie spéciale, enfin, distinguait nettement equity de common law: les parties intentaient des procédures en equity (suit ), non des actions à proprement parler; les parties faisaient valoir des «intérêts selon l’equity» (equitable interests ) plutôt que des droits à strictement parler. Common law et equity ont continué à vivre et à se développer côte à côte, pour ces raisons variées, pendant plusieurs siècles, des juristes de formation et de psychologie différentes se spécialisant dans l’une ou l’autre de ces branches du droit anglais.La situation a changé en 1875, où la distinction des cours de common law et de la cour d’equity du chancelier a été formellement abolie, et où tous les juges ont reçu le pouvoir d’appliquer concurremment les règles de la common law et les remèdes de l’equity. La distinction, abrogée par le législateur, conserve toutefois un intérêt pratique considérable de nos jours. Au sein de la Supreme Court of judicature, il existe diverses chambres (divisions ) dans lesquelles se perpétue, en fait, la dualité traditionnelle des procédures; les juristes anglais continuent à se spécialiser comme common lawyers ou equity lawyers . D’importants développements se sont produits cependant depuis 1875. Un regroupement des matières a eu lieu; les matières qui relèvent actuellement de l’equity ne sont plus seulement celles qui, dans l’histoire, ont été développées par la cour du chancelier; ce sont aussi des branches de droit nouvelles, telles que le droit des sociétés anonymes (company law ), qui ont leur origine dans la législation, et ce sont même certaines matières, telles que le droit des faillites (Bankruptcy ), qui ont leur origine dans la common law, mais pour la connaissance desquelles le recours à la procédure écrite de l’equity a été jugé plus approprié. Toute la matière, très complexe, des droits immobiliers (real property ) relève également, aujourd’hui, de l’equity.La distinction de base du droit anglais est celle de la common law et de l’equity, qu’ignorent les droits du continent européen. De même, issus de l’histoire, les concepts du droit anglais sont autres que ceux des droits romanistes. Trust , bailment , trespass , consideration , remainder , common calling , estoppel , autant de notions élémentaires pour un juriste anglais, mais dont il n’existe pas d’équivalent dans les droits et dans le langage même des droits du continent européen. Le droit anglais ignore en revanche les catégories et les notions que l’on considère comme naturelles et évidentes dans ces droits. Il ne connaît pas la distinction du droit public et du droit privé; il ne comporte ni droit civil, ni droit commercial, ni droit administratif, ni droit des obligations, ni droit des successions. La chose ne signifie pas que le droit anglais soit, par son contenu, foncièrement différent des droits du continent. Mais les circonstances historiques ne se sont pas prêtées à la reconnaissance de ces catégories et notions issues de la science du droit romain. On rejette la distinction du droit public et du droit privé parce qu’il paraît dangereux de poser en principe que l’administration a une position de privilège, mais cela n’empêche nullement que, par le jeu de «distinctions», on reconnaisse parfois que telle ou telle règle ne doit pas être appliquée sans nuances lorsque l’on a affaire à l’administration; il convient d’autre part de noter la grande autonomie qui, selon la tradition, a été reconnue en Angleterre aux collectivités locales (local governments ), avec la conséquence que celles-ci apparaissent comme des groupements d’individus plutôt que comme des émanations de la puissance publique de l’État. L’existence d’un droit commercial autonome est niée depuis que, au XVIIIe siècle, on a vu dans les institutions et règles du commerce un simple droit des affaires, et non plus le droit spécial d’une caste de marchands. Le droit des successions n’est pas reconnu comme branche du droit parce qu’il ne présente, en Angleterre, aucune unité. La réglementation du testament a des origines canoniques, la succession ab intestat a été pendant des siècles réglée par la common law différemment selon que l’on avait en vue la succession aux immeubles (dominée par les règles du régime féodal) ou la succession aux meubles; enfin, on ne peut envisager la matière des successions sans prendre en considération l’institution du trust développée par l’equity.En même temps que la fusion des cours de common law et d’equity, 1875 a vu se réaliser l’intégration, dans la Supreme Court nouvelle, des juridictions qui, auparavant, appliquaient le droit canonique ou le droit de la mer. Une chambre spéciale de la Supreme Court est en fait spécialisée aujourd’hui dans ces matières: divorces, testaments, abordages. Une grande simplification a été apportée par cette réforme; le prononcé du divorce ne suppose plus ainsi, aujourd’hui, qu’une instance préliminaire ait été engagée devant une cour de common law en vue d’établir l’adultère de la femme, et les questions de pension alimentaire ou indemnités peuvent également être réglées par les mêmes juges qui prononcent le divorce.Sources du droit anglaisLa théorie des sources du droit, qui prévaut en Angleterre, assigne un rôle primordial à la jurisprudence ; il faut entendre par là les décisions des cours supérieures: Supreme Court of judicature et house of lords.La coutume joue un rôle médiocre, sauf la précision qu’il lui appartient d’apporter à des notions telles que celles de personne raisonnable (reasonable man ), d’obligation et de diligence (duty of care ), de comportement loyal (fair dealing ), de conformité à la conscience, ou autres «standards» qui conditionnent l’application de multiples règles du droit. Les coutumes locales ont presque totalement disparu en Angleterre au bénéfice de la common law. Les coutumes commerciales n’entrent vraiment dans le domaine du droit que lorsqu’elles ont été reconnues et sanctionnées par la jurisprudence.La loi (statute ) n’a joué pendant longtemps qu’un rôle secondaire, se bornant à opérer des errata ou addenda au corps de droit jurisprudentiel constitué par la common law et l’equity. Les interventions du législateur se sont multipliées de nos jours et le rôle de la loi est devenu considérable. La règle de droit formulée par le législateur n’en continue pas moins, cependant, à être considérée avec une certaine gêne par juges et juristes anglais; elle n’est vraiment intégrée au droit anglais que lorsqu’elle a été interprétée et appliquée par les cours à l’occasion d’espèces particulières; on laissera volontiers de côté, alors, le texte même de la loi pour se référer, exclusivement, aux décisions de jurisprudence qui en ont fait application.Le droit anglais est donc un «droit jurisprudentiel», dont les règles ont été fixées, et ont évolué, par l’action des cours supérieures de justice. L’étude du droit anglais est essentiellement l’étude des arrêts qui ont été rendus par ces cours. Ces arrêts constituent des guides, des «précédents» dont la doctrine doit être suivie à l’avenir par les juges, en tenant compte de la juridiction plus ou moins élevée qui les a rendus, et en considérant soigneusement d’autre part toutes les circonstances de fait de l’espèce à l’occasion de laquelle un arrêt a été rendu.La règle du précédent, nécessaire pour donner une base solide au droit dans un pays qui n’a pas de codes, ne doit pas être conçue comme entravant l’évolution du droit anglais. Le juge qui professe le plus grand respect pour le précédent peut en pratique toujours, ou presque toujours, se dégager d’un précédent gênant, lorsque l’intérêt social l’exige, en considérant qu’une «distinction» peut être raisonnablement faite entre l’espèce à lui soumise et l’affaire qui a été précédemment jugée. Le droit anglais est adapté aux besoins sociaux et manières de voir nouvelles par cette pratique des distinctions; l’art du juriste consiste, en Angleterre, à se rendre compte de l’autorité que peuvent avoir les précédents et des limites que peut comporter cette autorité.Le droit anglais, trouvant sa base dans la jurisprudence, est essentiellement un «droit casuistique». Les règles appliquées par les juges dans une espèce n’ont d’autorité contraignante que dans le cadre des faits qui ont conduit les juges à les énoncer. On considère en Angleterre avec suspicion toute règle dont l’énoncé serait trop général, ou qui serait présentée de façon abstraite, en dehors du contexte des faits d’une espèce.La doctrine n’a pas joué pour cette raison le même rôle en droit anglais que sur le continent. On s’est méfié pendant longtemps d’auteurs qui n’avaient pas un lien suffisant avec la pratique et qui avaient une inévitable tendance à la généralisation. Le grand personnage du droit anglais est le juge; jamais ce ne fut le professeur de droit. Celui qui écrit un ouvrage juridique ne manque jamais de préciser, parmi ses titres, qu’il est membre du barreau; omettre cette mention serait avouer une tare. Le rôle des universités et l’importance des manuels sont toutefois en hausse à notre époque.Le droit anglais n’a pas été codifié. Une des raisons qui expliquent cela est qu’il n’était pas nécessaire de rédiger des codes pour réaliser l’unification, sur un plan national, du droit. Mais une autre raison est que la codification, avec les règles générales et abstraites qu’elle comporte, est étrangère au génie anglais. À cette formule, qui correspond aux manières de voir du continent, on préfère, en Angleterre, celle de la consolidation , qui est un simple exposé systématique, une présentation ordonnée des règles dégagées par la jurisprudence. Une œuvre importante de consolidation a été accomplie depuis cent ans; elle affecte principalement les matières relevant du droit commercial et la real property .Avenir du droit anglaisPays hautement industrialisé, pays de grande concentration urbaine, l’Angleterre d’aujourd’hui est devenue profondément différente de l’Angleterre du XIXe siècle, dont Macaulay, dans un chapitre célèbre, marquait déjà le contraste avec celle de la reine Elizabeth Ire. Des réformes de grande portée sont intervenues dans son droit depuis le Reform Bill, qui, en 1832, a annoncé l’avènement du régime de démocratie parlementaire actuel. Une nouvelle orientation a été donnée au droit anglais au XXe siècle, avec le triomphe d’une politique de dirigisme, par laquelle on cherche à transformer dans ses bases mêmes la société, dans l’espoir de créer un ordre social plus conforme à la justice.La conception même du droit, que l’on entretenait traditionnellement en Angleterre, en a subi le contrecoup. Les communautés traditionnelles ont éclaté. Il est devenu de plus en plus malaisé de s’en remettre à des notables, anciens ou nouveaux, du soin d’administrer la justice. Le droit devient graduellement l’affaire des juristes: les juristes jouent un rôle accru dans le fonctionnement des cours inférieures, les juges professionnels se multiplient, le jury en matière civile est en pleine décadence. D’autre part, le droit a cessé d’être conçu principalement sous son aspect contentieux. On attend de lui la réforme de la société et l’on sollicite à cet effet, chaque jour davantage, l’intervention du législateur. Les cours supérieures, qui jadis dégagaient les principes mêmes du droit, tendent à devenir, comme sur le continent, de simples organismes d’application du droit, celui-ci se présentant de plus en plus sous la forme de la loi.Le droit anglais se modifie, en outre, dans sa structure. La distinction de la common law et de l’equity a pris un autre sens que jadis; un critère rationnel, fondé sur le dualisme de deux procédures, est en voie de se substituer au critère d’ordre historique qui à l’origine pouvait seul expliquer la répartition des règles de droit en règles de common law et règles d’equity. Une semblable tendance à la rationalisation et à la systématisation peut être observée dans les différentes branches du droit, depuis que l’attention des juristes n’a plus à se porter, avant tout, sur la recherche d’une «forme d’action» appropriée.Il convient d’observer, enfin, que la common law et l’equity du siècle dernier ne comportent pas de solutions adéquates pour nombre de problèmes nouveaux que pose, entre autres facteurs, le développement des activités de l’administration. On notera ainsi spécialement l’apparition et le développement, dans le droit anglais, de branches nouvelles – droit administratif, droit de la concurrence, droit de l’urbanisme – qui n’existaient pas jadis.La théorie des sources du droit, pareillement, est sujette à réexamen. Une tendance s’est manifestée récemment pour assouplir le jeu de la règle du précédent; la Chambre des lords, qui s’estimait liée par ses propres précédents, a fait savoir en 1966 qu’elle abandonnerait le cas échéant cette règle, si des considérations impérieuses d’équité lui paraissent l’exiger. Le Law Commissions Act (1965) a prévu la codification du droit des contrats et du droit de la responsabilité délictuelle (torts ).Il est permis de se demander toutefois quel sera le sens véritable de cette codification. Il n’est pas douteux qu’une certaine remise en ordre du droit pourra intervenir en certains domaines où le droit anglais est demeuré confus; l’autorité de divers précédents pourra d’autre part être détruite. Il paraît cependant vraisemblable que les codes de demain, s’ils viennent à être rédigés, seront interprétés à la lumière du droit jurisprudentiel d’aujourd’hui. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait supposer un renouvellement total des modes de raisonnement qui ont, pendant des siècles, caractérisé le droit anglais. Une très longue évolution pourrait seule conduire à ce résultat.
Encyclopédie Universelle. 2012.